Poèsie

ERATO, La Muse de la Poésie amoureuse

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POÉSIES ET POÈTES CLASSÉS PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE
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POÉSIES ET POÈTES CLASSÉS PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE DE PUBLICATION
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–––– poésie à la croisée des mondes : Nuno Jùdice, poète portugais ––––––––––––

Nuno Jùdice

Nuno Jùdice : « mettre les mondes en contact »

« Le poème a la même durée qu’un homme 
et son cœur bat en même temps qu’il l’anime du souffle d’une vie. »

     Nuno Júdice est l’un des plus grands poètes portugais. Né en avril 1949, en Algarve, à Mexilhoeira Grande, il a grandi dans ce petit village du sud du Portugal où il s’est intéressé très tôt à la poésie. mais c’est également un romancier, dramaturge, essayiste, traducteur, spécialiste de la littérature médiévale ibérique, critique littéraire et professeur de littérature comparée à l’université de Lisbonne. Il a obtenu le prix Pablo Neruda en 1973. Il a vécu durant plusieurs années à l’étranger : à Berne, en Suisse de 1985 à 1991 et à Paris, de 1997 à 2004 où il a dirigé l’Institut Camoes. Il dirige depuis 1996 la revue de poésie Tabacaria à Lisbonne.

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Poésie

D’où vient-elle – la voix qui
nous déchira de l’intérieur, qui
apporta la pluie noire
de l’automne, et s’enfuit parmi
les brouillards et les champs
dévorés par les herbes ?

Elle était ici – ici à l’intérieur
de nous, comme si elle s’était toujours
trouvée là ; et nous ne
l’entendons pas, comme si elle ne nous
parlait pas depuis toujours,
là, à l’intérieur de nous.

Et maintenant que nous voulons l’entendre,
comme si nous l’avions re-
connue jadis, où est-elle ? La voix
qui danse la nuit, en hiver,
sans lumière ni écho, tandis qu’elle
prend de sa main le fil
obscur de l’horizon.

Elle dit : « Ne pleure pas ce qui t’attend,
ne descends plus la rive
du fleuve ultime. Respire,
d’un trait bref, l’odeur
de la résine, dans le bois, et
le souffle humide du poème. »

Comme si nous l’entendions.

In Méditations sur des ruines (1994) © Poésie/Gallimard 1996, p.205/206

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Pour lire d’autres poèmes de Nuno Jùdice, c’est ICI.

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Poésie du Septentrion : Tomas Tranströmer, poète suédois, prix Nobel de littérature 2011

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Tomas Tranströmer

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Les ratures du feu

Durant ces mois obscurs, ma vie n’a scintillé que lorsque
je faisais l’amour avec toi.
Comme la luciole qui s’allume et s’éteint, s’allume et s’éteint
– nous pouvons par instants suivre son chemin
dans la nuit parmi les oliviers

Durant ces mois obscurs, ma vie est restée affalée et inerte
alors que mon corps s’en allait droit vers toi.
la nuit, le ciel hurlait.
En cachette, nous tirions le lait du cosmos, pour survivre.

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En mars – 79

Las de tous ceux qui viennent avec des mots,
des mots mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens !
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Pas des mots, mais un langage.

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Là-bas sur le terrain vague, non loin des immeubles,
il y a depuis des mois déjà un journal oublié, truffé d’évènements.
Il vieillit durant les nuits et les jours de soleil et de pluie
en passe de se muer en plante, en chou pommé, de s’unir à la terre.
Comme un souvenir qui peu à peu en nous se transforme.

A propos de l’histoire V, p.128.

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Ingmar Bergman - le septième sceau

.

Il arrive au milieu de la vie
que la mort vienne prendre nos mesures.
Cette visite s’oublie et la vie continue.
Mais le costume se coud à notre insu.

      Sombres cartes postales II, p.256

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Pour lire pleins de poèmes de Tranströmer, c’est ICI (I), et LÀ (II).

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Eros et poésie : Joyce Mansour, poétesse égyptienne d’expression française (1928-1986)

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      Joyce Mansour

« Une puissance à l’image de l’antique terre-mère : c’est parce qu’elle engloutit la graine, qu’elle peut rendre le baiser d’une fleur ardente »  – Jean-Louis Bédouin

son absence de pudeur « marque une sorte de révolte, essentiellement féminine, contre le despotisme sexuel de l’homme, qui fait souvent de l’érotisme sa création exclusive »  – Alain Jouffroy

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Je ne veux plus

Je ne veux plus de votre visage de sage
Qui me sourit à travers les voiles vides de l’enfance
Je ne veux plus des mains raides de la mort
Qui me traînent par les pieds dans les brumes de l’espace
Je ne veux plus des yeux mous qui m’enlacent
Des cratères qui crachent leurs spermes froids de fantômes
Dans mon oreille
Je ne veux plus entendre les voix chuchotantes des chimères
Je ne veux plus blasphémer toutes les nuits de pleine lune
Prenez-moi comme otage comme cierge comme breuvage
Je ne veux plus maquiller votre vérité
Je ferais le grand écart pour vous impressionner Seigneur…..

Déchirures, 1955.

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Vois, je suis dégoûté des hommes.
Leurs prières, leurs toisons,
Leur foi, leurs façons,
J’en ai assez de leurs vertus surabondantes,
Court-vêtues
J’en ai assez de leurs carcasses.
Bénis-moi folle lumière qui éclaire les monts célestes
J’aspire à redevenir vide comme l’œil paisible
De l’insomnie.
J’aspire à redevenir astre.

« le surréalisme, même 2 » printemps 1957

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Pour d’autres poèmes de Joyce Mansour, c’est ICI.

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Traduttore, tradittore : Pierre Leyris (1907-2001)

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5498_PierreLeyris     Pierre Leyris, né à Ermont le 16 juillet 1907 et décédé à Paris le 4 janvier 2001, fut sans doute le traducteur le plus respecté de sa génération. Il a traduit Shakespeare dans l’édition intégrale du Club français du livre, Melville, T. S. Eliot, Yeats, Dickens, Stevenson, Hawthorne et De Quincey. Ce fut aussi un incomparable traducteur des poètes anglophones, de Milton à Jean Rhys. Relevons également sa splendide traduction en quatre volumes des oeuvres de William Blake parue chez Aubier & Flammarion, qui demeure la plus complète en langue française. 
     Après des études au lycée Janson-de-Sailly, il fréquente les milieux littéraires d’avant garde. Au lycée il a fait la connaissance de Pierre Klossowski, de son frère, le peintre Balthus, et du poète Pierre Jean Jouve. Vers 1930 il débute ses traductions pour le compte de nombreux éditeurs et de 1954 à 1961, dirige avec Henri Evans une édition bilingue des Œuvres complètes de Shakespeare au Club français du livre. Il sera également un temps directeur de collection au Mercure de France et publiera en 1995 chez Gallimard Esquisse d’une anthologie de la poésie américaine du XIXe siècle. Il a traduit plus de 100 œuvres et a reçu le Grand Prix national de la traduction en 1985 . Son exigence de recherche de l’excellence lui faisait reprendre ses traductions quelques années plus tard.

Pierre et Betty Leyris par Balthus - 1932

Pierre et Betty Leyris par Balthus – En 1932, année de la réalisation de ce tableau, Balthus, alors jeune peintre, partageait leur appartement à Paris. C’est son frère aîné, le romancier et essayiste Pierre Klossowski qui lui avait présenté le couple Leyris dont il était l’ami.

Traduire, c’est comme jouer au bilboquet… (par Jean-Yves Masson)
     Pierre Leyris,(…) est dans notre langue au vingtième siècle l’une des incarnations éminentes de ce personnage « invisible » de la vie des lettres, le traducteur. (…) Pierre (Leyris) est représenté en veste noire, en train de fumer la pipe, assis, en train de rêver. Betty, derrière lui, joue au bilboquet.
     Il y a dans ce tableau toutes les allusions qu’on veut à l’amour de ces deux êtres l’un pour l’autre, et aux jeux charnels d’un jeune couple : l’érotisme du bilboquet, dont la symbolique n’est pas un mystère, est bien dans la manière de Balthus. Mais j’y vois pour ma part autre chose encore. Le traducteur se livre à sa rêverie, et il est permis de contempler dans cette jeune femme à la fois sérieuse et joueuse qui se tient derrière lui une image de sa conscience linguistique et l’âme même de son travail. Betty Leyris, qui ne perdit jamais tout à fait son délicieux accent britannique, était aussi Anglaise qu’on peut l’être, et d’une exquise amabilité. Le jeu auquel elle se livre (et où il y a du plaisir, oui), c’est l’analogue de ce jeu périlleux de la traduction : il faut que cela tombe juste, et pour cela il faut à l’esprit agilité, souplesse, mobilité. Et que cela tombe juste, d’un mouvement heureux, c’est à chaque fois un petit miracle, qui ne saurait se produire à tous coups. Mais il y a un secret ultime de ce jeu : c’est qu’il est, précisément, un jeu, et qu’il n’est pas d’autre moyen d’y devenir habile que de toujours recommencer.

Jean-Yves Masson, Dix fragments sur Blake – mai 2009.

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Poésie amère : Vladimir Holan, poète tchèque (1905-1980)

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Vladimir Holan (1905-1980)

Vladimir Holan (1905-1980)

« Dans cette maudite volière de Bohême,
il lançait ses poèmes avec dédain,
comme des morceaux de chair sanglante, »

 (Jaroslav Seifert, Prix Nobel)

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Elle t’a demandé (1964)

Une jeune fille t’a demandé : Qu’est-ce que la poésie ?
Tu voulais lui dire : C’est ce qui fait que tu existes, ô
Oui, que tu existes,
et que de crainte et d’émerveillement,
qui sont la preuve du miracle,
je sois si cruellement jaloux de la plénitude de ta beauté,
et que je ne puisse t’embrasser ni dormir avec toi,
et que moi, je n’aie rien, et que celui qui n’a rien à donner
doive chanter…

Mais tu ne lui as rien dit, tu as gardé le silence
et ce chant, elle ne l’a pas entendu…

Une nuit avec Hamlet (Noc s Hamletem, 1964)

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Vladimir Holan et Frantisek Halas en 1935

Vladimir Holan et Frantisek Halas en 1935

Ce qu’a été ta vie ? Tu as quitté connu pour inconnu.
Et ton destin ? Il ne t’a souri qu’une fois
et tu n’étais pas là …

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Pour en savoir plus sur Vladimir Holan, c’est ICI.

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Poésie : sous la pluie des flèches solaires, Andreï Biély (1880-1934), poète russe

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Andreï Biély, portrait de 1928

Ah ! ces images familières !
Toujours les talus, les brouillards,
Le bruissement des clairières,
Un peuple affamé sans espoir …

Ah ! ce pays, combien sévère !
Libre espace sans liberté …
Des champs monte une voix amère :
« Meurs avec moi sans hésiter ! »
Voici de mortelles menaces,
Voici des cris désespérés,
Des sanglots, des plaintes qui passent
En des messages éplorés.
Toutes les morts inassouvies
Sans arrêt volent dans le vent;
Dans la steppe, on fauche les vies,
Dans la steppe, on fauche les gens.

Terre glacée, plaine mortelle,
Pays maudit, pays froid,
Mère, ô Russie, patrie cruelle,
Qui s’est ainsi moqué de toi ?

(1908)

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Willi Geiger

illustration de Willi Geiger

Il crut trop à l’éclat de l’or
et périt des flèches solaires.
Sa pensée mesura les siècles
Mais vivre sa vie – il ne sut.

                      (Biély, aux Amis)

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Pour lire d’autres poèmes d’Andreï Biély, c’est ICI et une prose fantastique sur la genèse et la montagne, c’est.

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Poésie amère : Marina Tsvetaeva ou « quand les lendemains ne chantent plus… »

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Marina Tsvetaeva (1892-1941)

     Figure importante de la poésie russe, méconnue de son vivant, Marina Tsvetaeva s’exila en 1922 à l’étranger, où elle poursuivit son œuvre poétique. Elle regagna la Russie en 1939. L’hostilité à laquelle elle fut confrontée la poussa au suicide en 1941.

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Ma journée est absurde non-sens
J’attends du pauvre une aumône,
Je donne au riche généreusement.

J’enfile dans l’aiguille un rayon,
Je confie ma clef au brigand
Et je farde mes joues de blanc.

Le pauvre ne me donne pas de pain,
Le riche ne prend pas mon argent,
Dans l’aiguille le rayon ne passe pas.

Il entre sans clef, le brigand,
Et la sotte pleure à seaux
Sur sa journée de non-sens.

29 juillet 1918 (traduction Véronique Lossky. Inédit)

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Mars

pleurs d’amour, fureur !
D’eux-mêmes — jaillissant !
Ô la Bohême en pleurs !
En Espagne : le sang !

Noir, ô mont qui étend
Son ombre au monde entier !
Au Créateur : grand temps
De rendre mon billet

Refus d’être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d’y vivre
Avec les loups régents

Des rues — hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines —
Non ! — Glisser : je refuse —
Le long des dos en chaîne.

Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
À ton monde insensé
Je ne dis que : refus.

15 mars-11 mai 1939.

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Pour d’autres poèmes de Marina Tsvetaeva, c’est ICI.

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Poésie de William Butler Yeats : The Wild swans at Coole (les cygnes sauvages de Coole), 1917

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portrait de William Butler Yeats (1865-1939) par John Singer Sargent, 1908

The Wild Swans at Coole

The trees are in their autumn beauty,
The woodland paths are dry,
Under the October twilight the water
Mirrors a still sky;
Upon the brimming water among the stones
Are nine-and-fifty swans.
The nineteenth autumn has come upon me
Since I first made my count;
I saw, before I had well finished,
All suddenly mount
And scatter wheeling in great broken rings
Upon their clamorous wings.
I have looked upon those brilliant creatures,
And now my heart is sore.
All’s changed since I, hearing at twilight,
The first time on this shore,
The bell-beat of their wings above my head,
Trod with a lighter tread.
Unwearied still, lover by lover,
They paddle in the cold
Companionable streams or climb the air;
Their hearts have not grown old;
Passion or conquest, wander where they will,
Attend upon them still.
But now they drift on the still water,
Mysterious, beautiful;
Among what rushes will they build,
By what lake’s edge or pool
Delight men’s eyes when I awake some day
To find they have flown away?

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Les Cygnes Sauvages de Coole (1917)

Les arbres dévoilent leur beauté d’automne,
Surplombant les secs chemins forestiers,
L’eau sous le crépuscule d’octobre
Reflète un ciel qui semble figé.
Sur l’eau qui court entre les galets
Cinquante neuf cygnes se sont posés.
C’était là le dix-neuvième automne,
Depuis que je m’étais mis à les compter.
J’ai vu, avant même d’avoir terminé,
Tous les cygnes, soudainement s’élever,
S’éparpiller, tournoyant en de larges anneaux brisés,
A grands coups d’ailes qui claquaient.
J’ai admiré ces créatures brillantes
Et maintenant mon coeur se crève.
Tout à changé depuis ce crépuscule où j’ai entendu,
Pour la première fois sur cette grève,
Le tintement de leurs ailes au dessus de moi,
Et en marchant s’allégeaient mes pas.
A jamais inlassables, en couple d’âmes soeurs,
Ils s’ébattent dans les vents propices
Et froids, ou gagnant de l’altitude.
Leurs coeurs jamais ne vieillissent.
Passion et hardiesse les attendent sur le chemin
Où que les emmène le destin.
Mais les voilà maintenant glissant sur le miroir de l’eau,
Ils sont beaux et intriguants .
Parmi quels joncs trouveront-ils refuge?
Au bord de quel lac, de quel étang
Fascineront-ils les passants, quand je me réveillerai un matin
Pour découvrir qu’ils sont partis au loin ?

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l’un des plans d’eau de Coole Park

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Pour en savoir plus sur Yeats et sur ses liens avec Coole Park, c’est ICI.

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Traduttore, tradittore : le poème « Alone » de James Joyce (1882-1941)

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James Joyce

James Joyce (1842, Dublin -1941, Zurich)

      En 1916, Joyce séjourne à Zurich où il séjournait dans une maison de la Seefeldstrasse au numéro 54, occupant une chambre au rez-de-chaussé, ironie du sort, la chambre était dernièrement occupée par un certain Blum L., dont le nom se prononce comme le nom de  deux des personnages d’Ulysse, Léopold et Molly Bloom… Joyce et sa maîtresse Nora Barnacle avait quitté Trieste et s’étaient réfugiés à Zurich en juin 1915 pour se protéger des conséquences de la guerre austro-italienne.

      Le poème Alone est l’un des treize poèmes du recueil Pomes Penyeach publié en 1927 par Shakespeare and Co à Paris. Pomes est la transcription phonétique de Poems mais certains y ont vu l’utilisation du français pomme; le titre sera d’ailleurs traduit en français par Pommes d’Api. Le premier poème Tilly (tuilleadh en irlandais) est un bonus; il était en effet coutume en Irlande d’offrir le treizième objet pour le prix de douze à l’instar des boulangers anglais qui appliquaient ce principe pour leurs pains. Le prix était de 12 francs, ou un shilling, soit 12 pence conformément au titre Penyeach (un penny chacun).

       Alone évoque la promenade d’un soir sur les rives du lac de Zurich. En 1916, Joyce a 34 ans et n’a pas encore rencontré Martha Fleischmann, la jeune et jolie suissesse dont il tombera amoureux deux ans plus tard et qui aurait servi de modèle pour les personnages de Gerty MacDowell dans Nausikaa et Martha Clifford dans Ulysse. Alone est un fantasme au sujet d’une femme imaginaire. Son ami, le peintre Frank Budgen, déclarera plus tard que Joyce lui avait confié qu’un artiste comme lui avait besoin de vivre des expériences extra-conjugales…

Nuit étoilée - van Gogh, 1888

Nuit étoilée – Van Gogh, 1888

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« Alone »  – 1916                                                Seul (traduction de Guy Lafaille)

The moon’s greygolden meshes make            Les mailles grises dorées de la lune font
All night a veil.                                                      toute la nuit un voile

The shorelamps in the sleeping lake               Les lumières du rivage dans le lac qui dort
Laburnum tendris trail.                                     traînent des vrilles de cytise.

The sly reeds whisper to the night                    Les roseaux rusés murmurent à la nuit
A name — her name —                                        un nom — son nom —

 And all my soul is a delight,                             Et toute mon âme est en délice,
A swoon of shame.                                               Une pâmoison de honte.

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         Seul (traduction de Schouch & Enki)                   Seul (traduction d’Enki)

Sous les reflets gris et jaunes de la lune           Sous les reflets mordorés de la lune
L’immense nuit s’est parée d’un voile.               la nuit toute entière n’est plus qu’un voile.

Sur le lac assoupi, les feux du rivages              Sur les eaux dormantes du lac, 
se tordent en vrilles de cytise                               les feux du rivage                                                
                                                                                     se tordent en vrilles de cytise.

Dans la nuit les roseaux malicieux                    Dans la nuit, les roseaux pleins de malice
chuchotent un nom – son nom –                          chuchotent un nom — son nom —

Et mon être entier se pâme de délice,                 Et mon être tout entier se pâme de délices,
de délice, et de honte...                                            de délices, et de honte…

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Poésie de mystère et de volupté : Constantin Cavafy (1863-1933), poète grec entre bureau et bordel…

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Cavafy1

Murailles, 1896.

Sans égards, sans pitié, sans honte, on a élevé autour de moi un triple cercle de hautes et solides murailles;
Et maintenant, je reste sur place, désespéré, ne pensant plus qu’au sort qui m’accable.
J’avais tant à faire au dehors !… Ah ! Comment les ai-je laissés m’emmurer sans y prendre garde ?
Mais je n’ai rien entendu : les maçons travaillaient sans bruit, sans paroles… Imperceptiblement, ils m’ont enfermés hors du monde.

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Jours de 1903 (1917)

Jamais je ne les ai retrouvés, ces choses si vite perdues.
Les yeux pleins de poésie, le pâle visage
dans la rue où le sombre descend.

Jamais je ne les ai retrouvés, ces choses conquises par hasard,
que j’ai laissé se perdre si aisément, mais qu’ensuite
j’ai désiré si fort avec angoisse.
Les yeux pleins de poésie, le pâle visage, et ces lèvres
dans la rue où le sombre descend.

Jamais je ne les ai retrouvés.

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Pour d’autres poèmes de Constantin Cavafy, c’est ICI.

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Poésie : Vivre aux pieds d’une géante, poème des Charles Baudelaire, 1857

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La géante endormie du massif des Bauges près du lac d’Annecy

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Du temps que la Nature en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux,
J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,
Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux.

J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
Et grandir librement de ses terribles jeux ;
Deviner si son coeur couve une sombre flamme
Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ;

Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;
Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains,

Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.                

Les fleurs du mal – 1857   

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Pour lire l’article complet « Vivre au pied d’une Géante », c’est ICI.

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Poésie du romantisme allemand : le poème de Goethe, Der Erlköning (le roi des aulnes), 1782.

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Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832)Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832)

Erlkoenig, illustration de Albert Sterner, vers 1910

Der Erlkoenig, illustration de Albert Sterner, vers 1910

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      Erkönig                                                                                  Le roi des aulnes

     Wer reitet so spät                                                           Quel est ce chevalier qui file si tard
     durch Nacht und Wind ?
                                                dans la nuit et le vent ?
     Es ist der Vater mit seinem Kind.                                C’est le père avec son enfant ;
     Er hat den Knaben wohl in dem Arm,
                         Il serre le petit garçon dans son bras,
     Er fasst ihn sicher, er hält ihn warm.                         Il le serre bien , il lui tient chaud.

     Mein Sohn, was birgst du so bang dein Gesicht?    « Mon fils, pourquoi caches-tu
                                                                                                   avec tant d’effroi ton visage ?
— Siehst Vater, du den Erlkönig nicht !
                      — Père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ?
    Den Erlenkönig mit Kron’ und Schweif ?                     Le Roi des Aulnes avec sa traîne et sa couronne ?
— Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif.                            — Mon fils, c’est un banc de brouillard.

— Du liebes Kind, komm geh’ mit mir !
                     — Cher enfant, viens, pars avec moi !
    Gar schöne Spiele, spiel ich mit dir,
                             Je jouerai à de très beaux jeux avec toi,
    Manch bunte Blumen sind an dem Strand,
                  Il y a de nombreuses fleurs de toutes les couleurs                                                                                                         sur le rivage,
    Meine Mutter hat manch gülden Gewand.“                Et ma mère possède de nombreux habits d’or.

— Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht,
       — Mon père, mon père, et n’entends-tu pas
    Was Erlenkönig mir leise verspricht ?
                        Ce que le Roi des Aulnes me promet à voix basse?
— Sei ruhig, bleibe ruhig, mein Kind,
                         — Sois calme, reste calme, mon enfant !
     In dürren Blättern säuselt der Wind.                          C’est le vent qui murmure dans les feuilles mortes.

— Willst feiner Knabe du mit mir geh’n ?
                  — Veux-tu, gentil garçon, venir avec moi ?
     Meine Töchter sollen dich warten schön,
                   Mes filles s’occuperont bien de toi
     Meine Töchter führen den nächtlichen Reihn,
           Mes filles mèneront la ronde toute la nuit,
     Und wiegen und tanzen und singen dich ein.“             Elles te berceront de leurs chants et leurs danses

— Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort
 — Mon père, mon père, et ne vois-tu pas là-bas
    Erlkönigs Töchter am düsteren Ort ?                           Les filles du Roi des Aulnes dans ce lieu sombre ?
— Mein Sohn, mein Sohn, ich seh’ es genau,
              — Mon fils, mon fils, je vois bien :
    Es scheinen die alten Weiden so grau. –                      Ce sont les vieux saules qui paraissent si gris.

— Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt,
    — Je t’aime, ton joli visage me charme,
    Und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt !        Et si tu ne veux pas, j’utiliserai la force.
—Mein Vater, mein Vater, jetzt fasst er mich an,
     — Mon père, mon père, maintenant il m’empoigne !
     Erlkönig hat mir ein Leids getan.                                 Le Roi des Aulnes m’a fait mal ! »

      Dem Vater grauset’s, er reitet geschwind,
                Le père frissonne d’horreur,il galope à vive allure,
      Er hält in Armen das ächzende Kind,
                          Il tient dans ses bras l’enfant gémissant,
      Erreicht den Hof mit Mühe und Not,
                           Il arrive à grand-peine à son port ;
      In seinen Armen das Kind war tot.                              Dans ses bras l’enfant était mort.

    Texte original                                                                       adaptation par Charles Nodier

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Der Erlkönig mis en musique par Franz Schubert interprété de manière extraordinaire par Jessye Norman

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Pour plus d’information sur le poème, les différentes traductions françaises réalisées et sur les nombreuses illustrations qui ont été réalisées sur le thème, c’est ICI.

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Dénonciation de la guerre : poème « Lullaby » de William Blake

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William Blake

William Blake (1757-1827)

William Blake - When the senses are shaken (Grand livre des dessins et modèles, 1796)

William Blake – When the senses are shaken (Grand livre des dessins et modèles, 1796)

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Lullaby

O for a voice like thunder, and a tongue
To drown the throat of war! – When the senses
Are shaken, and the soul is driven to madness,
Who can stand ?
When the souls of the oppressed
Fight in the troubled air that rages, who can stand ?
When the whirlwind of fury comes from the
Throne of God, when the frowns of his countenance
Drive the nations together,
who can stand ?
When Sin claps his broad wings over the battle,
And sails rejoicing in the flood of Death;
When souls are torn to everlasting fire,
And fiends of Hell rejoice upon the slain,
O who can stand ?
O who hath caused this?
O who can answer at the throne of God ?
The Kings and Nobles of the Land have done it !

Hear it not, Heaven, thy Ministers have done it !

William Blake, O for a voice like thunder
Prologue, destinée à une pièce de théâtre du roi Edouard IV (1796) 

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Pour les traductions en français du poème de Blake, c’est ICI.

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TRADUTTORE, TRADITTORE

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Différentes traductions du poème d’Heinrich Heine Der Sphinx (Buch der Lieder)
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Le Sphinx

Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867) - Œdipe et le Sphinx (détail), 1808-1827

Voici l’antique forêt aux enchantements !
Les fleurs du tilleul embaument,
Et l’éclat merveilleux de la lune
Tient mon âme ensorcelée.

J’allais mon chemin, et comme j’avançais,
Une mélodie retentit dans les airs.
C’est la voix du rossignol, il chante
L’amour et le mal d’amour.

Il chante l’amour et le mal d’amour,
Il chante les larmes et le rire.
Si triste est sa joie, si joyeuse ses sanglots !
Des rêves oubliés s’éveillent.

Pour la suite, c’est ICI

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Au sujet des difficultés de traduction de la poésie de William Blake, par Alain Suied
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L’étranger, le poète

Alain Suied (1951-2008)

Une légende Hassidique raconte qu’un
étranger cherche son chemin pour sortir d’une ville
dont il ne parle pas la langue.
Toute la journée, il erre et nul ne le comprend,
nul ne le dirige sur la bonne route…
Le soir venu, un autre étranger – qui ne
parle pas sa langue
ni la langue de la ville – le rencontre
et lui indique le bon chemin pour sortir de
la ville…

Le poète propose un chemin…mais
aujourd’hui, qui l’écoute ?
L’espérance est dans les cœurs…

Pour la suite, c’est ICI

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Traductions du poème « Alone » de James Joyce
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Nuit étoilée - van Gogh, 1888

Alone évoque la promenade d’un soir sur les rives du lac de Zurich. En 1916, Joyce a 34 ans et n’a pas encore rencontré Martha Fleischmann, la jeune et jolie suissesse dont il tombera amoureux deux ans plus tard et qui aurait servi de modèle pour les personnages de Gerty MacDowell dans Nausikaa et Martha Clifford dans Ulysse. Alone est un fantasme au sujet d’une femme imaginaire. Son ami, le peintre Frank Budgen, déclarera plus tard que Joyce lui avait confié qu’un artiste comme lui avait besoin de vivre des expériences extra-conjugales.

Pour la suite, c’est ICI

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